Les origines : le vent de l’Est
Pour mieux comprendre ce phénomène social, il convient d’en faire la genèse. « Les pères de la chose », pour utiliser un autre gabonisme très à la mode, sont deux jeunes rappeurs, paradoxalement issus des milieux embourgeoisés du Gabon des années 90. En effet, quoique le rap naissant fût fortement impulsé par des groupes informels comme les rappeurs de la côte ouest, avec des têtes d’affiche tels Ice P, IZB devenu les criminals Mcs, c’est bien le groupe V2A4 qui avec un premier disque officiel a formalisé l’univers rapologique gabonais balbutiant. Avec leur 1er album et des titres comme « African revolution » et « un message du V2A4 », les deux membres de ce groupe, Klaus et Feller, ont officiellement lancé la vague de l’ère subversive, aux messages politiques acérés, du rap gabonais. Le fameux vent de l’Est du multipartisme souffle alors en rafales sur les jeunes démocraties africaines vagissantes. Après le vrai faux départ du multipartisme au Gabon et la prise en otage du pays par le Parti Démocratique Gabonais (PDG), la plupart des groupes de rap qui succèderont au V2A4, entretiendront cette flamme avec des textes satiriques, dépeignant le mal social vécu quasi silencieusement par la population, mais crié sur les ondes par des groupes et artistes solo comme Siya possee X, Cam et surtout le groupe Movaizhaleine notamment dans le célèbre titre « Engogol ». Ce titre, véritable classique du rap subversif local, peint un tableau de la faillite des politiques sociales et économiques du Gabon : un pays riche mais avec un peuple pauvre ; ce peuple que ce groupe compare métaphoriquement à « des poissons qui meurent de soif dans les eaux de l’Ogouée » (plus grand fleuve du pays, illustrant ainsi l’immensité de
Les élections de 2009 : 1ère vague de contestation
En fait un homme politique majeur symbolise cette invite du rap engagé dans l’arène des campagnes électorales, ce même homme qui a réussi à fédérer de manière clivante toutes les attentions des artistes rappeurs : Ali Bongo Ondimba. Certes le président Omar Bongo Ondimba, fit un léger usage des artistes rappeurs à des fins propagandistes (V2A4, Campos Campos…), mais celui qui suscita véritablement l’émulation des rappeurs gabonais sur la scène électorale est Ali Bongo Ondimba lorsqu’il se porte candidat en 2009. C’est un secret de polichinelle, Ali Bongo est un artiste raté, qui grâce à sa filiation atterrira, quasiment par défaut, en politique. Ceci, entre autres, pourrait expliquer l’attention qu’il porte, dès cette première campagne, à l’univers hip hop local. Cette attention malheureusement ne sera pas pour améliorer leurs conditions précaires sans droits d’auteurs, mais plutôt pour les instrumentaliser comme « outils » électoraux 2.0. : le père Bongo a eu ses groupes d’animation socioculturelle, le fils Ali, rêvait d’avoir ses rappeurs électoraux. Cette nouvelle donne aura pour corollaire la naissance d’un puissant courant de rappeurs propagandistes, à la solde de l’homme politique. Un rappeur exilé en France tranchera avec ce qu’il appellera les « groupes d’animation électorale » : Lord Ekomy Ndong. Dans son titre « 300809 »( en référence au 30 août 2009, date des élections présidentielles), le rappeur utilise des vers au vitriol pour dénoncer toute tentative de falsification des résultats « à l’heure du rendez-vous des urnes et de l’histoire », tout en invitant le peuple à l’action pour faire respecter leurs votes car, selon lui, « qui ignore qu’ici [au Gabon] élection rime avec formalité/On connait le film là presque par cœur/Mais notre erreur c’est qu’on reste spectateurs ». Malheureusement la mise en scène frauduleuse du dénouement de ces élections pressentie par Ekomy Ndong va se réaliser. Ali Bongo perpétra ainsi son premier vol électoral, au détriment de son principal adversaire, André Mba Obame qui s’éteindra mystérieusement par la suite avec les espoirs de la population abusée. Une fois de plus.
Par Eudes Ilotse