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Le rôle du rap gabonais dans les élections présidentielles : contre « Les Eux ». (1ere partie)
- Par BOUTET Orphé,
- Mise à jour le 30-11-2023
« Les Eux ». Ce gabonisme très populaire désignant les dignitaires de l’ancien pouvoir du président Ali Bongo et tous ses affidés du parti démocratique gabonais, symbolise parfaitement l’impact du rap local sur la perception qu’ont les masses populaires les plus jeunes de la vie politique. En effet, ce particularisme linguistique local est le titre d’une chanson rap qui a fait sensation durant la dernière campagne électorale qui a connu son épilogue ce 30 août 2023. Mis en ligne sur tous ses réseaux sociaux une semaine environ avant les élections par son auteur, le rappeur hardcore M.O.R., ce titre attaque ouvertement, avec des mots crus et on ne peut plus explicites, le pouvoir PDG d’Ali Bongo ; invitant en sus les populations à voter contre le président sortant. Cette chanson marque un tournant dans l’histoire du Rap engagé gabonais, car jamais rappeur (même artiste en général), vivant sur le territoire national de surcroit, ne s’est aussi courageusement (certains parleront même de témérité) attaqué au pouvoir en place durant une campagne électorale. Cet acte de bravoure est d’autant plus admirable quand on connait la facilité qu’avait Ali Bongo et tout son clan à embastiller ses contradicteurs les plus virulents dans des conditions inhumaines. D’ailleurs peu de temps après la sortie sensationnelle de ce hit, le rappeur M.O.R. a été interpellé de manière totalement arbitraire par les barbouzes du pouvoir. Si cette sensation est une première au Gabon, il faut constater que la musique rap a une tradition très subversive lors des campagnes présidentielles, mais aussi à l’approche de celles-ci, ou durant les crises post-électorales qu’ont connues le pays ces dernières décennies. Quelle est la genèse de ce mouvement artistique subversif ? Qui sont donc ces rappeurs qui ont engagé leur art au service du combat de libération politique ? Dans quelles circonstances l’ont-ils fait ? Quel est le contenu de leurs textes ? Quel impact sur la population ? Quel avenir pour ce type de rap au Gabon ? Autant de questions qui seront le fil conducteur de cet article loin d’être exhaustif, car il n’est que la première partie d’un sujet tellement abondant.
Les origines : le vent de l’Est
Pour mieux comprendre ce phénomène social, il convient d’en faire la genèse. « Les pères de la chose », pour utiliser un autre gabonisme très à la mode, sont deux jeunes rappeurs, paradoxalement issus des milieux embourgeoisés du Gabon des années 90. En effet, quoique le rap naissant fût fortement impulsé par des groupes informels comme les rappeurs de la côte ouest, avec des têtes d’affiche tels Ice P, IZB devenu les criminals Mcs, c’est bien le groupe V2A4 qui avec un premier disque officiel a formalisé l’univers rapologique gabonais balbutiant. Avec leur 1er album et des titres comme « African revolution » et « un message du V2A4 », les deux membres de ce groupe, Klaus et Feller, ont officiellement lancé la vague de l’ère subversive, aux messages politiques acérés, du rap gabonais. Le fameux vent de l’Est du multipartisme souffle alors en rafales sur les jeunes démocraties africaines vagissantes. Après le vrai faux départ du multipartisme au Gabon et la prise en otage du pays par le Parti Démocratique Gabonais (PDG), la plupart des groupes de rap qui succèderont au V2A4, entretiendront cette flamme avec des textes satiriques, dépeignant le mal social vécu quasi silencieusement par la population, mais crié sur les ondes par des groupes et artistes solo comme Siya possee X, Cam et surtout le groupe Movaizhaleine notamment dans le célèbre titre « Engogol ». Ce titre, véritable classique du rap subversif local, peint un tableau de la faillite des politiques sociales et économiques du Gabon : un pays riche mais avec un peuple pauvre ; ce peuple que ce groupe compare métaphoriquement à « des poissons qui meurent de soif dans les eaux de l’Ogouée » (plus grand fleuve du pays, illustrant ainsi l’immensité des richesses bradées et accaparées par le pouvoir en place). Cette grogne sociale musicale, limitée jusque-là à un public jeune ou à quelques puristes, va connaître une audition plus large, nationale, par le canal de son invitation par les acteurs politiques dans les différentes campagnes présidentielles des deux premières décennies des années 2000.
Par Eudes Ilotse
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