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Mercredi, 14 mai 2025

Le rôle du rap gabonais dans les élections présidentielles : contre « Les Eux ». (1ere partie)



« Les Eux ». Ce gabonisme très populaire désignant les dignitaires de l’ancien pouvoir du président Ali Bongo et tous ses affidés  du parti démocratique gabonais, symbolise parfaitement l’impact du rap local sur la perception qu’ont les masses populaires les plus jeunes de la vie politique. En effet, ce particularisme linguistique local est le titre d’une chanson rap qui a fait sensation durant la dernière campagne électorale qui a connu son épilogue ce 30 août 2023. Mis en ligne sur tous ses réseaux sociaux une semaine environ avant les élections par son auteur, le rappeur hardcore M.O.R., ce titre attaque ouvertement, avec des mots crus et on ne peut plus explicites, le pouvoir PDG d’Ali Bongo ; invitant en sus les populations à voter contre le président sortant. Cette chanson marque un tournant dans l’histoire du Rap engagé gabonais, car jamais rappeur (même artiste en général), vivant sur le territoire national de surcroit, ne s’est aussi courageusement (certains parleront même de témérité) attaqué au pouvoir en place durant une campagne électorale. Cet acte de bravoure est d’autant plus admirable quand on connait la facilité qu’avait Ali Bongo et tout son clan à embastiller ses contradicteurs les plus virulents dans des conditions inhumaines. D’ailleurs peu de temps après la sortie sensationnelle de ce hit, le rappeur M.O.R. a été interpellé de manière totalement arbitraire par les barbouzes du pouvoir. Si cette sensation est une première au Gabon, il faut constater que la musique rap a une tradition très subversive lors des campagnes présidentielles, mais aussi à l’approche de celles-ci, ou durant les crises post-électorales qu’ont connues le pays ces dernières décennies. Quelle est la genèse de ce mouvement artistique subversif ? Qui sont donc ces rappeurs qui ont engagé leur art au service du combat de libération politique ? Dans quelles circonstances l’ont-ils fait ? Quel est le contenu de leurs textes ? Quel impact sur la population ? Quel avenir pour ce type de rap au Gabon ? Autant de questions qui seront le fil conducteur de cet article loin d’être exhaustif, car il n’est que la première partie d’un sujet tellement abondant.

Les origines : le vent de l’Est

Pour mieux comprendre ce phénomène social, il convient d’en faire la genèse. « Les pères de la chose », pour utiliser un autre gabonisme très à la mode, sont deux jeunes rappeurs, paradoxalement issus des milieux embourgeoisés du Gabon des années 90. En effet, quoique le rap naissant fût fortement impulsé par des groupes informels comme les rappeurs de la côte ouest, avec des têtes d’affiche tels Ice P, IZB devenu les criminals Mcs, c’est bien le groupe V2A4 qui avec un premier disque officiel a formalisé l’univers rapologique gabonais balbutiant. Avec leur 1er album et des titres comme « African revolution » et « un message du V2A4 », les deux membres de ce groupe, Klaus et Feller, ont officiellement lancé la vague de l’ère subversive, aux messages politiques acérés, du rap gabonais. Le fameux vent de l’Est du multipartisme souffle alors en rafales sur les jeunes démocraties africaines vagissantes. Après le vrai faux départ du multipartisme au Gabon et la prise en otage du pays par le Parti Démocratique Gabonais (PDG), la plupart des groupes de rap qui succèderont au V2A4, entretiendront cette flamme avec des textes satiriques, dépeignant le mal social vécu quasi silencieusement par la population, mais crié sur les ondes par des groupes et artistes solo comme Siya possee X, Cam  et surtout le groupe Movaizhaleine notamment dans le célèbre titre « Engogol ».  Ce titre, véritable classique du rap subversif local, peint un tableau de la faillite des politiques sociales et économiques du Gabon : un pays riche mais avec un peuple pauvre ; ce peuple que ce groupe compare métaphoriquement à « des poissons qui meurent de soif dans les eaux de l’Ogouée » (plus grand fleuve du pays, illustrant ainsi l’immensité des richesses bradées et accaparées par le pouvoir en place). Cette grogne sociale musicale, limitée jusque-là à un public jeune ou à quelques puristes, va connaître une audition plus large, nationale, par le canal de son invitation par les acteurs politiques dans les différentes campagnes présidentielles des deux premières décennies des années 2000.

Par Eudes Ilotse

Journal des avis et annonces (J2A)

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On la pensait en retrait de la scène. Mais ce n’est pas le cas. L’artiste Poussy Makindo a annoncé vendredi dernier, au cours d’une conférence de presse tenue au musée national des arts et traditions, la sortie officielle de son single intitulé « Miyango », avec lequel elle compte donner une nouvelle dimension à sa carrière.

Le choix du lieu n’est certainement pas anodin. C’est dans les locaux du musée national des arts et traditions du Gabon que Poussy Makindo a appris au public la mise en circulation sur le marché du disque gabonais de son nouveau single dont le titre est « Miyango ».

Miyango, expression Ngwê-Myênè, est en effet une invite au retour aux sources, aux valeurs traditionnelles. Chantée et accompagnée par les instruments et rythmes de ce peuple côtier dont elle est issue, la nouvelle œuvre de Poussy Makindo est également un récit historique et épique, notamment celui de la lutte du peuple Orungu contre les colonisateurs.  Donc dans une sorte de démarche dialectique, elle invite les mélomanes à comprendre l’impérieuse nécessité de lutter pour la sauvegarde de ce qu’on a de plus précieux d’après elle, à savoir la liberté et l’identité.

Poussy Makindo,Yvonne Martiale Iromba Wora à l’état-civil, est née à Port-Gentil dans la province de l’Ogouée-Maritime. D’après elle, la musique n’est pas seulement une passion, mais également un moyen pour elle d’enseigner la culture gabonaise en général et celle des Ngwê-Myênè en particulier.

Après avoir longtemps accompagné Patience Dabany en tant que choriste et participé à la création et l’éclosion du groupe Evizo, elle s’est lancée dans une carrière solo. Ce qui fait qu’à ce jour elle compte plusieurs titres et albums dont les plus emblématiques sont « hommage » qui date de 2007, « Ikokuna » et « Ikèniza » sortis respectivement en 2009 et 2015.   

Sur ce nouveau projet, Poussy Makindo est accompagnée par l’ONG Okany qui œuvre énormément pour la promotion et la préservation de la langue, de la culture, des arts et traditions des peuples Ngwê-Myênè.

Le clip est disponible sur la chaîne YouTube de l'artiste et de manière progressive, sera diffusé sur toutes les plateformes de streaming.

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La haine vindicative ruminée par la population depuis les évènements de 2016 fait craindre un dénouement encore plus sanglant. Bâillonnée par des médias pro PDG, la parole subversive des rappeurs, véritables porte-parole de cette colère refoulée, va trouver un terreau favorable via le canal des réseaux sociaux en explosion et accessibles à tous. C’est dans cette arène que vont être lâchés les scuds encore plus virulents et explicites des lyricistes contestataires. Dans cette nouvelle cuvée on trouve bien sûr des anciens combattants fidèles au poste comme Keurtys E et Sayk’1ry. Le premier, Keurtys E (désormais résident en Chine), s’appuie sur l’anaphore du « vous » pour interpeller le pouvoir Ali qui est selon lui du « mauvais côté de l’histoire » dans son titre Mandat rapologique. Cette interpellation d’ensemble peut s’expliquer par la mutation du pouvoir qui n’est plus l’apanage du despote victime d’un double AVC entre les deux scrutins. Cette main invisible qui articule la marionnette présidentielle diversifie la cible des snipers lyricaux. C’est ce que fera un collectif mené par l’historique Sayk’1ry  (toujours à l’étranger), accompagné par des lyricistes moins connus, notamment Black Roda, King Mez, Stentor et Masta , dans le titre évocateur 13/105. Ainsi ce collectif moque toute la faune des prédateurs financiers gravitant autour du pouvoir (« Des intellos à la Nzé Souala/Et voilà comment peut-on s’étonner que la crise économique soit là ») et dénonce énergiquement les marionnettistes conduits par Sylvia Bongo qui ont capté officieusement l’exécutif (« 14 ans de sang et de larmes, de haine et de drames/faisons le bilan : Bongo et sa femme se maintiennent par les armes »). Mais ce collectif au vers acerbes ne va pas épargner la personne d’Ali ainsi que son bilan désastreux(le titre 13/105 tourne d’ailleurs en dérision ce bilan : 105 promesses, mais juste 13 réalisations). Quant au président lui-même, il en prend pour son grade, notamment son état de santé : « On rêve d’un président frais, / mais pas d’une raie au rayon fruits et légumes », « Ce pays est à l’image boiteuse de son chef », « A mes gens du peuple, pour tout ce sang versé/Prions Dieu, il fera pire que cet AVC !». Si la violence de ces attaques ad personam peut ressembler à des coups de fusil sur une ambulance, il faut les replacer dans leur contexte : le passif encore très lourd de la répression sanglante de 2016 et le taux de chômage record des jeunes ont cristallisé toutes les colères. En outre l’éventualité d’un nouveau vol électoral rend les textes encore plus violents, l’escalade verbale prépare donc l’insurrection populaire qui semble inéluctable («Cette fois-ci on a la dalle on va te brûler à l’allumette », « Cette élection c’est la pitance pas de pitié c’est la vengeance dans les quartiers », « Abas les émergents/Cette année c’est l’alternance »). Ces mots très virulents, à la limite de l’illégal montrent la température très élevée durant ce scrutin de 2023. Mais un nouveau venu dans l’arène subversive va faire sensation avec un titre devenu mythique : Les Eux. Son auteur, un rappeur quasi inconnu jusque-là (sauf des milieux puristes du hip hop car il a été vainqueur de nombreuses  compétitions d’improvisation textuelle, notamment le street-fighter en 2010 ou le clash a capella en 2023) :M.O.R. C’est le titre phare du rap contestataire de ces élections 2023, et peut-être même le titre majeur de l’histoire de la vague subversive du rap gabonais. Le succès retentissant de ce véritable hit repose sur un contexte et un triptyque. En ce qui concerne le contexte, il est dû au fait que M.0.R. met en ligne ce titre pendant qu’il réside au Gabon, il prend donc le risque d’affronter un régime vieux de plus d’un demi-siècle, et qui s’illustre depuis ces 14 dernières années par l’élimination physique de ses contestataires ou leur emprisonnement dans des conditions inhumaines.  Par mesure de prudence, la grande majorité des rappeurs avaient jusque-là préservé leur intégrité physique en s’exilant afin de s’attaquer plus librement au pouvoir despotique en place. L’attaque frontale et à découvert de M.O.R. fait donc une exception héroïque. Outre ce contexte, c’est le triptyque texte cru, clash frontal des propagandistes, et clip expressif qui est la recette du succès de M.O.R. . Primo donc, le caractère ultra corrosif du texte de ce titre, marque de fabrique de ce rappeur dont le franc-parler ne lui a pas permis de se faire beaucoup d’amis. Ainsi lui-même reconnait que sa « littérature emploie des mots crasseux », tellement que certaines de ses paroles flirtent avec un lexique ordurier et injurieux (« Rien à foutre de leur démocratie/C’est la dictature de la majorité/Ils excellent dans la médiocrité »).

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Les élections de 2016 : désillusion, escalade et dénouement sanglant

Cependant, malgré le bénéfice du doute accordé, et un prix du baril de pétrole historiquement élevé, le septennat d’Ali rimera avec désillusion, prédation des finances publiques et paupérisation exponentielle de la population. De quoi ajouter de l’eau au moulin des rappeurs engagés. Avant même qu’une véritable opposition politique s’organise formellement, la contestation des rappeurs va porter des estocades lyricales au régime émergent. Ainsi, le rappeur Keurtyce E, vent debout, va s’en prendre au président Ali dans le très explicite On va tourner la page dans lequel il revendique haut et fort le changement au sommet de l’Etat, au risque d’un soulèvement populaire post-électoral. Morceaux choisis : « T’es pas Dieu, t’es pas notre maître/Essaie, tu vas apprendre à nous connaître », « Tu as beaucoup fait, ça suffit comme ça/Si tu restes au palais c’est tant pis pour toi ». Une double remarque peut être faite sur la portée symbolique du message de la rue que véhiculent ces vers. D’une part, le tutoiement de la plus haute autorité, symbole de son désaveu par les masses populaires qui n’ont plus aucun respect pour le président devenu despote qui a, par son comportement indigne durant le septennat, désacralisé la fonction présidentielle. D’autre part, ces paroles traduisent ce que prépare la population : un soulèvement en cas de nouveau vol électoral ; la violence des mots préfigure la résolution ferme de la population d’en découdre, avec une intensité plus élevée qu’en 2009. On voit ainsi que les paroles des artistes rappeurs, à l’image de ce titre de Keurtyce E, sont une sorte de thermomètre qui pourrait servir au mélomane avisé à prendre la température du peuple. Mais malheureusement les politiques ont souvent fait le choix de casser le thermomètre plutôt que de le lire. D’où l’exil massif des artistes contestataires, à la quête d’un meilleur avenir ou pour fuir la répression. C’est le cas du rappeur Sayk’1ry qui depuis le sud de la France écrira le très corrosif  Mister zéro, périphrase désignant Ali et son bilan catastrophique.  Ce texte bilan, se donne pour mission de passer au crible le septennat d’Ali. Là aussi les vers sont sans ambiguïté : « En 2009 tu nous as promis ciel et terre/Un avenir en confiance pour les fils des prolétaires […] /Sept ans après on fait le bilan : zéro/Combien d’écoles ? zéro/Combien de collèges et des lycées sortis de sol ? zéro/ Universités ? Une bibliothèque ?zéro/Que des discours et des discours et des maquettes ! Zéro ! ». Au cœur des élections de 2016, un collectif mené par Lord Ekomy Ndong, Maat Seigneur Lion et Lestaat XXL va poursuivre cette logique avec le titre  On ne te suit pas (en réaction au titre « On te suit » des artistes propagandistes menés par le groupe Hayoe). Cette opposition de style très clivante traduit le climat explosif des élections de 2016 : une population remontée à bloc (alignée derrière l’opposant Ping) contre une petite « élite » qui tient illégitimement les rênes du pouvoir. Ce qui devait arriver arriva. Un nouveau vol électoral. Mais cette fois il est suivi d’un soulèvement populaire avec comme point d’orgue l’incendie de l’assemblée nationale par le peuple floué. Une fois de plus. Une fois de trop. La répression sanglante qui s’en suivra (assassinats collectifs et bombardement du quartier général de l’opposant Ping) sera sans précédents dans la jeune histoire électorale du pays. Et pourtant les rappeurs cités supra avaient prémonitoirement annoncé ces évènements morbides. Keurtyce E annonçait déjà : « La rumeur court que tu prépares la guerre/Président mal élu et impopulaire/Clandestinement tu fais entrer des armes/Après les élections il y aura du sang et des flammes. ». Et Sayk’1ry : «Mister zéro et compagnie nous préparent déjà la guerre ». Comme quoi, à l’instar du poète hugolien (Fonction du poète, Les Rayons et les ombres, 1840), le rappeur a également parfois une dimension prophétique dans sa fonction de lanceur d’alerte. Ce dénouement sanglant va marquer un tournant dans l’attitude des rappeurs engagés gabonais. Tout d’abord il y a le temps du deuil et des larmes. A l’instar du pays qui pleurera longtemps ses héros, la scène rapologique va prendre le temps pour pleurer ; le rap se mue alors en catharsis. Un texte pourrait résumer cet état : Rouges nuages de Lord Ekomy Ndong (encore lui). Le lyriciste utilise dans ce son la métaphore climatique et l’élégie pour traduire la douleur du peuple et dénoncer la liste non exhaustive des martyrs de la nation (depuis la période pré-électorale et celle post-électorale) : « Quand les nuages deviennent rouges,/ Quel genre de pluie tombe/ Quelle genre de foudre frappe/ Quel genre de tonnerre gronde/Quel genre de démocrate compte sur les armes et les cagoules/Combien de toits s’effondrent/Combien de larmes coulent ?/Nos familles sortent des bureaux de vote pour faire du porte à porte/ de morgues en morgues/Rendez les corps ! Que s’est-il passé ? Assassinats tout tracé/Victimes ramassées, traces effacées/Affaire classée ! ». A cette tendance élégiaque, succèdera la colère et le devoir de mémoire. Les rappeurs se muent en gardiens des faits historiques. C’est ce que reflète l’hommage testimonial que rendent Lestaat XXL et Lord Ekomy Ndong dans le titre Sur mon drapeau. Dans ce titre les rappeurs accusent le politique d’avoir sali la bannière tricolore nationale : elle est désormais maculée du sang des martyrs. Ce texte à charge, est là donc pour rappeler aux bourreaux que cette tâche coupable restera indélébile. Plus rien ne sera comme avant : « Vous pouvez vous voiler la face mais vous verrez bien plus rien ne sera comme avant/Ne change pas de sujet, j’étais au Q.G. pendant que tu étais en train de nang[…] La question à l’heure actuelle est plus morale que politique[…]/Vous ne faites pas, donc on met nous-même nos morts en haut/Le vert jaune bleu est en lambeau/Merci à Mme Mbourantso ! ». Pour mieux mesurer l’étendue de ce deuil et cette révolte du milieu rap, il faudra constater le changement de position de certains rappeurs jugés jusque-là proche du pouvoir en place. Le cas le plus sensationnel est la volte-face du poids lourd Kôba. Il va faire ce qu’on pourrait appeler son « coming-out » subversif antisystème avec le titre Odjuku. Depuis son exil français, le rappeur s’en prend aux origines étrangères et étranges du dictateur Ali (sa nationalité gabonaise a toujours été contestée). Loin d’être un texte xénophobe et haineux, le titre de Kôba est un véritable exercice de style qui combine les attaques ad personam légères (« Odjuku, on ne te suit pas, shiba-man », «Tu n’es pas beau, tu n’es pas intelligent/Tu es un très mauvais dirigeant ») et des vers plus graves et incisifs  (« Le peuple est en deuil, Odjuku, entends-tu les pleurs ? », « Les panthères sont debout la main sur les cœurs/Tu peux tirer sur nous, jamais l’idée ne meurt »). Cette fêlure immarcescible laissée par la répression sanglante de 2016 dans les corps et les esprits va marquer un point de non-retour entre le peuple (et en l’occurrence les rappeurs)  meurtri et le président meurtrier. Ce clivage préparait donc le lit d’une parole rapologique encore plus virulente pour les élections suivantes

 

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Les élections de 2009 : 1ère vague de contestation

En fait un homme politique majeur symbolise cette invite du rap engagé dans l’arène des campagnes électorales, ce même homme qui a réussi à fédérer de manière clivante toutes les attentions des artistes rappeurs : Ali Bongo Ondimba. Certes le président Omar Bongo Ondimba, fit un léger usage des artistes rappeurs à des fins propagandistes (V2A4, Campos Campos…), mais celui qui suscita véritablement l’émulation des rappeurs gabonais sur la scène électorale est Ali Bongo Ondimba lorsqu’il se porte candidat en 2009. C’est un secret de polichinelle, Ali Bongo est un artiste raté, qui grâce à sa filiation atterrira, quasiment par défaut, en politique. Ceci, entre autres, pourrait expliquer l’attention qu’il porte, dès cette première campagne, à l’univers hip hop local. Cette attention malheureusement ne sera pas pour améliorer leurs conditions précaires sans droits d’auteurs, mais plutôt pour les instrumentaliser comme « outils » électoraux 2.0. : le père Bongo a eu ses groupes d’animation socioculturelle, le fils Ali, rêvait d’avoir ses rappeurs électoraux. Cette nouvelle donne aura pour corollaire la naissance d’un puissant courant de rappeurs propagandistes, à la solde de l’homme politique. Un rappeur exilé en France tranchera avec ce qu’il appellera les « groupes d’animation électorale » : Lord Ekomy Ndong. Dans son titre « 300809 »( en référence au 30 août 2009, date des élections présidentielles), le rappeur utilise des vers au vitriol pour dénoncer toute tentative de falsification des résultats « à l’heure du rendez-vous des urnes et de l’histoire », tout en invitant le peuple à l’action pour faire respecter leurs votes car, selon lui, « qui ignore qu’ici [au Gabon] élection rime avec formalité/On connait le film là presque par cœur/Mais notre erreur c’est qu’on reste spectateurs ». Malheureusement la mise en scène frauduleuse du dénouement de ces élections pressentie par Ekomy Ndong va se réaliser. Ali Bongo perpétra ainsi son premier vol électoral, au détriment de son principal adversaire, André Mba Obame qui s’éteindra mystérieusement par la suite avec les espoirs de la population abusée. Une fois de plus.

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