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Le rôle du rap gabonais dans les élections présidentielles : contre « Les Eux ». (4ème partie)
- Par BOUTET Orphé,
- Mise à jour le 01-12-2023
Le dénouement hitchcockien du scrutin de 2023 : la fin des « Eux » ?
La haine vindicative ruminée par la population depuis les évènements de 2016 fait craindre un dénouement encore plus sanglant. Bâillonnée par des médias pro PDG, la parole subversive des rappeurs, véritables porte-parole de cette colère refoulée, va trouver un terreau favorable via le canal des réseaux sociaux en explosion et accessibles à tous. C’est dans cette arène que vont être lâchés les scuds encore plus virulents et explicites des lyricistes contestataires. Dans cette nouvelle cuvée on trouve bien sûr des anciens combattants fidèles au poste comme Keurtys E et Sayk’1ry. Le premier, Keurtys E (désormais résident en Chine), s’appuie sur l’anaphore du « vous » pour interpeller le pouvoir Ali qui est selon lui du « mauvais côté de l’histoire » dans son titre Mandat rapologique. Cette interpellation d’ensemble peut s’expliquer par la mutation du pouvoir qui n’est plus l’apanage du despote victime d’un double AVC entre les deux scrutins. Cette main invisible qui articule la marionnette présidentielle diversifie la cible des snipers lyricaux. C’est ce que fera un collectif mené par l’historique Sayk’1ry (toujours à l’étranger), accompagné par des lyricistes moins connus, notamment Black Roda, King Mez, Stentor et Masta , dans le titre évocateur 13/105. Ainsi ce collectif moque toute la faune des prédateurs financiers gravitant autour du pouvoir (« Des intellos à la Nzé Souala/Et voilà comment peut-on s’étonner que la crise économique soit là ») et dénonce énergiquement les marionnettistes conduits par Sylvia Bongo qui ont capté officieusement l’exécutif (« 14 ans de sang et de larmes, de haine et de drames/faisons le bilan : Bongo et sa femme se maintiennent par les armes »). Mais ce collectif au vers acerbes ne va pas épargner la personne d’Ali ainsi que son bilan désastreux(le titre 13/105 tourne d’ailleurs en dérision ce bilan : 105 promesses, mais juste 13 réalisations). Quant au président lui-même, il en prend pour son grade, notamment son état de santé : « On rêve d’un président frais, / mais pas d’une raie au rayon fruits et légumes », « Ce pays est à l’image boiteuse de son chef », « A mes gens du peuple, pour tout ce sang versé/Prions Dieu, il fera pire que cet AVC !». Si la violence de ces attaques ad personam peut ressembler à des coups de fusil sur une ambulance, il faut les replacer dans leur contexte : le passif encore très lourd de la répression sanglante de 2016 et le taux de chômage record des jeunes ont cristallisé toutes les colères. En outre l’éventualité d’un nouveau vol électoral rend les textes encore plus violents, l’escalade verbale prépare donc l’insurrection populaire qui semble inéluctable («Cette fois-ci on a la dalle on va te brûler à l’allumette », « Cette élection c’est la pitance pas de pitié c’est la vengeance dans les quartiers », « Abas les émergents/Cette année c’est l’alternance »). Ces mots très virulents, à la limite de l’illégal montrent la température très élevée durant ce scrutin de 2023. Mais un nouveau venu dans l’arène subversive va faire sensation avec un titre devenu mythique : Les Eux. Son auteur, un rappeur quasi inconnu jusque-là (sauf des milieux puristes du hip hop car il a été vainqueur de nombreuses compétitions d’improvisation textuelle, notamment le street-fighter en 2010 ou le clash a capella en 2023) :M.O.R. C’est le titre phare du rap contestataire de ces élections 2023, et peut-être même le titre majeur de l’histoire de la vague subversive du rap gabonais. Le succès retentissant de ce véritable hit repose sur un contexte et un triptyque. En ce qui concerne le contexte, il est dû au fait que M.0.R. met en ligne ce titre pendant qu’il réside au Gabon, il prend donc le risque d’affronter un régime vieux de plus d’un demi-siècle, et qui s’illustre depuis ces 14 dernières années par l’élimination physique de ses contestataires ou leur emprisonnement dans des conditions inhumaines. Par mesure de prudence, la grande majorité des rappeurs avaient jusque-là préservé leur intégrité physique en s’exilant afin de s’attaquer plus librement au pouvoir despotique en place. L’attaque frontale et à découvert de M.O.R. fait donc une exception héroïque. Outre ce contexte, c’est le triptyque texte cru, clash frontal des propagandistes, et clip expressif qui est la recette du succès de M.O.R. . Primo donc, le caractère ultra corrosif du texte de ce titre, marque de fabrique de ce rappeur dont le franc-parler ne lui a pas permis de se faire beaucoup d’amis. Ainsi lui-même reconnait que sa « littérature emploie des mots crasseux », tellement que certaines de ses paroles flirtent avec un lexique ordurier et injurieux (« Rien à foutre de leur démocratie/C’est la dictature de la majorité/Ils excellent dans la médiocrité »).
Par Eudes Ilotse
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