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Mercredi, 14 mai 2025

Tribune Libre

  • Par BOUTET Orphé
  • 15-04-2024
Brice Clotaire Oligui Nguéma :...

Oligui Nguéma : continuateur d’une culture d’homme providentiel autoritaire ?

Au Gabon, d’Omar Bongo Ondimba à Ali Bongo Ondimba, il s’est, en réalité et davantage, agi d’homme providentiel autoritaire, louangé par l’organe partisan qu’est le PDG et le système dit « Bongo-PDG ». En saluant le « coup de liberté » du 30 août dernier, les Gabonaises et les Gabonais, dans leur immense majorité, ont sans aucun douté salué leur libération du joug des hommes providentiels autoritaires successifs de la « dynastie » familiale des Bongo Ondimba. Artisan du coup de liberté et tombeur d’Ali Bongo Ondimba, le Général Brice Clotaire Oligui Nguéma est, à juste titre, l’homme providentiel espéré et attendu par les Gabonaises et les Gabonais. Toutefois, de quel type d’homme providentiel Oligui Nguéma est ou doit-il être le nom ?

Presque huit (8) mois après la prise de pouvoir par le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), son Chef semble osciller et hésiter entre l’incarnation de l’homme providentiel médiateur et celle de l’homme providentiel autoritaire.

Après les règnes successifs des hommes providentiels autoritaires père et fils Bongo Ondimba, le peuple gabonais aspire à être gouverné par un autre type d’homme providentiel. En plaçant sa prise de pouvoir sous la coupole du CTRI, nous préjugeons que le Général Oligui Nguéma l’a compris. En effet, la dénomination même du CTRI (comité pour la transition et la restauration des institutions) devrait l’attester et donner une indication du type d’homme providentiel que le peuple gabonais attend et que le leader de la Transition politique, en cours dans notre pays, est censé incarner.

Dans la dénomination « Comité pour la transition et la restauration des institutions », le terme « transition » laisse entendre le passage d’une ère à une autre, d’une époque à une autre. Dans l’expression « restauration des institutions », le terme « restauration » n’est pas approprié si nous considérons que, du fait du règne des hommes providentiels autoritaires père et fils Bongo Ondimba, il n’y a jamais eu au Gabon, en réalité, d’institutions capables d’en imposer aux individus quels qu’ils soient. Nous aurions dû alors parler de « fondation ou création des institutions ». Toutefois, en elle-même, l’expression « restauration des institutions » indique bien une aspiration à passer et à entrer dans une ère politique dans laquelle les institutions devront dorénavant prévaloir sur les individus. De tout ce qui précède, nous en concluons que le type d’homme providentiel attendu par les Gabonaises et les Gabonais et que le Président de la Transition devrait incarner est l’homme providentiel médiateur. En incarnant ce type d’homme providentiel, le Général Oligui Nguéma se mettrait en posture de passeur vers un système politique fondé sur la force et l’autorité des institutions plutôt que sur la force et l’autorité d’un homme.

Malheureusement, à l’épreuve des faits, nous avons des raisons de suspecter que la dénomination du CTRI, comité pour la transition et la restauration des institutions, est une profession de foi politique que son leader n’entend pas réaliser et incarner.

Pour pouvoir réaliser la profession de foi politique suggérée par la dénomination même du CTRI et incarner la figure de l’homme providentiel médiateur attendu par le peuple gabonais, le Général Oligui Nguéma devrait donner des gages d’une rupture avec la culture de l’homme providentiel autoritaire dans laquelle il a baigné, en tant qu’un des hommes et piliers du régime et du système Bongo-PDG.

Nous avons le sentiment, au contraire, que le Président de la Transition entend plutôt être le continuateur de la culture de l’homme providentiel autoritaire des père et fils Bongo Ondimba. Ce qui l’atteste est la préparation sans consultation participative et inclusive du Dialogue national inclusif, en cours. Les termes de référence et le choix des participants audit dialogue ont été décidé unilatéralement par le leader du CTRI. Par ailleurs, le fait qu’il ait exclu de l’ordre du jour dudit dialogue national inclusif, la création d’une « commission vérité, justice, réparation et réconciliation » finit par nous convaincre que le Général Brice Clotaire Oligui Nguéma n’est pas l’homme providentiel médiateur que le Gabon attend.

Portées d’abord par la Coalition pour la nouvelle république (CNR) et soutenues ensuite par les tenants de l’ancien régime, la création et la mise en place d’une « commission vérité, justice, réparation et réconciliation », dans le contexte de la Transition politique en cours, donneraient plus de sens et de légitimité au Dialogue national inclusif. Seule une telle « commission vérité, justice, réparation et réconciliation » permettrait de distinguer ce dialogue national inclusif des précédents dialogues et amorcerait les conditions de réalisation de notre véritable essor commun vers la félicité et vers le renouveau du Gabon. Au-delà de l’objectif de la réconciliation nationale, au nom des héros et des martyrs de la liberté et de la démocratie dans notre pays, la mise en place d’une telle commission est un devoir de mémoire. Cette exigence de mémoire pour nos héros et martyrs devrait naturellement être une priorité pour le sauveur et libérateur acclamé le 30 août dernier. Or, ce dernier en n’en faisant pas sa priorité fait douter de ce statut à lui conféré et ensuite assumé et revendiqué. Pour toutes ces raisons, le dialogue, que ce prétendu sauveur et libérateur promeut et qui est en cours, a toutes les allures d’une énième et nouvelle basse manœuvre politicienne dont le principal dessein est la consolidation de la captation du pouvoir d’Etat par le CTRI et son leader. Cet état de fait est une occasion historique que le Général Oligui Nguéma est en train de manquer pour incarner la figure du rebelle et du dissident en opposition de l’ancien monde et, par conséquent, de l’homme providentiel médiateur attendu par les Gabonaises et les Gabonais.    

Tout homme providentiel étant enfant de crise, est donc fils de son temps et de son contexte socio-politique. Le fait que le Général Oligui Nguéma soit quasiment plébiscité en tant que sauveur et encouragé majoritairement (y compris activement ou passivement par les critiques de l’ancien régime) à devenir un nouvel homme providentiel autoritaire, émule et incarnation d’Akoma Mba est sans doute en phase avec le contexte. Toutefois, cela interroge, tout de même, sur les véritables attentes du peuple gabonais. Le désir de changement exprimé par ce dernier lors des élections présidentielles, notamment de 2016 et de 2023, serait-il un simple désir de remplacer un homme providentiel autoritaire par un autre ou serait-il plutôt et fondamentalement un profond désir de rupture et donc d’alternance et d’alternative à la culture de l’homme providentiel autoritaire ?

S’il existe bien des indices et des faits attestant que l’actuel Président de la République serait davantage enclin à être le continuateur d’une culture de l’homme providentiel autoritaire, il n’en demeure pas moins qu’il serait trop tôt de l’affirmer catégoriquement et définitivement. En politique, tout comme dans le cadre de la vie humaine ordinaire, l’existence précède l’essence : tout est dynamique. L’homme providentiel autoritaire d’aujourd’hui pourrait devenir demain un homme providentiel médiateur ou inversement.

Cependant, une chose est certaine : le Général Brice Clotaire Oligui Nguéma est bel et bien, à ce jour, plutôt un homme providentiel opportuniste. L’histoire lui a donné l’opportunité de s’emparer du pouvoir : il l’a saisi ; la même histoire lui offre l’opportunité d’assouvir son désir de prolonger sa jouissance de l’exercice du pouvoir : il entend ne pas se faire prier. Toutefois, il serait bien inspiré de saisir également l’opportunité que cette même histoire lui offre pour incarner, en rupture avec l’ordre ancien, l’homme providentiel médiateur espéré et attendu, inconsciemment sans doute, par la majorité des Gabonaises et des Gabonais. Ce n’est pas en étant le continuateur de la culture de l’homme providentiel autoritaire qu’il sera effectivement l’exécuteur testamentaire[1] revendiqué d’Omar Bongo Ondimba. L’euphorie populaire du 30 août dernier, qui constitue encore un état de grâce pour le nouveau Président de la République, est une écume qui, en réalité, accompagne une puissante vague faisant échouer sur le rivage de notre histoire l’épave putride de la culture de l’homme providentiel autoritaire. L’histoire, la grande histoire, tend les bras au Général Brice Clotaire Oligui Nguéma pour qu’il y entre en étant l’homme providentiel médiateur et héraut du Gabon véritablement libéré, réconcilié, démocratique, vivant en paix et dans la prospérité partagée. 

Par Stéphane Vouillé



[1] Cf. les liens de mon précédent article : Brice Clotaire Oligui Nguéma : exécuteur testamentaire d’Omar Bongo Ondimba ?

 

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  • Par BOUTET Orphé
  • 15-04-2024
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Homme providentiel : de quoi parle-t-on

Si nous nous limitons aux extraits cités ci-dessus, nous remarquons que les panégyristes et les critiques d’Oligui Nguéma, en réalité, n’ont pas la même acception de la notion d’« homme providentiel ». Pour les premiers, l’homme providentiel est un rebelle et un patriote qui entre en scène en ouvrant, pour son peuple, une nouvelle ère attendue de ce dernier. Pour les seconds, l’homme providentiel est un « homme fort », et sans doute incarnant un pouvoir personnalisé et autoritaire. Chez les critiques, la réserve émise à l’égard de l’homme providentiel laisse suppose que le pouvoir personnalisé et autoritaire dudit homme n’est jamais et ne sera jamais exempt de dérives. En présageant un échec de la Transition, dans le cas où elle déboucherait sur la consécration du pouvoir d’un homme providentiel, les critiques laissent entendre, par ailleurs, que l’ère des hommes providentiels est celle du passé : cette époque doit prendre fin.

Avant d’être préemptée par le Gabon, et l’Afrique en général, cette notion d’homme providentiel a d’abord une histoire occidentale. En l’occurrence, l’histoire de l’Italie de la Renaissance, en proie à des guerres fratricides dont les conséquences sont la désunion et le risque d’implosion nationale. Dans ce contexte de crise, l’homme providentiel espéré et attendu est celui qui réussit à fédérer les différentes factions militaires et politiques et à reconstruire l’unité nationale italienne. Pour l’Italie de la Renaissance, cet homme providentiel s’est incarné le mieux dans la figure de Francesco Sforza (1401-1466), prince guerrier, duc de Milan. Dans cet exemple italien, il est clair que l’homme providentiel, enfant d’une crise, est un patriote qui doit faire montre d’une autorité certaine s’imposant à tous.

Pour Jean Garrigues, spécialiste du sujet, l’histoire de France est aussi riche en « hommes providentiels ». Dans cette histoire française, « le mythe de l’homme providentiel et celui du sauveur se confondent […] Mais, pour être plus précis, on pourrait considérer que l’homme providentiel est un sauveur en train de se construire, une attente, un espoir, une invocation, tandis que l’image du sauveur s’appliquerait à un homme providentiel qui a réussi, en quelque sorte. Celui qui apparaît à un moment de notre histoire comme un homme providentiel devient un sauveur au moment où il a réussi son coup (c’est-à-dire la conquête du pouvoir) et qui, dès lors, connaît un état de grâce. Le sauveur – comme Napoléon Bonaparte, Georges Clemenceau ou Charles de Gaulle – est un homme providentiel qui est parvenu à ses fins. »[1]

Pour Jean Garrigues, l’homme providentiel, nécessairement révélé par une crise, est toujours en posture d’extériorité « par rapport à un système politique qu’il entend bousculer au nom du peuple. » Et quand bien même il appartiendrait audit système, il y assumerait la contenance d’un marginal, d’un dissident, d’un rebelle.

En Afrique, nous pouvons considérer schématiquement que la notion d’homme providentiel s’ « endogènise » d’abord dans le cadre des luttes pour les indépendances et ensuite dans le cadre de la construction des jeunes Etats indépendants. En tenant pour acquis que c’est la crise qui révèle l’homme providentiel, dans le cadre des luttes pour les indépendances, la crise révélatrice des hommes providentiels était la colonisation. Dans le cadre de la construction des jeunes Etats indépendants, les crises qui feront l’avènement des hommes providentiels sont les « prétendues » guerres ethniques. Nous disons « prétendues », parce que ces dernières n’ont pas toujours et partout été des crises avérées, mais quelques fois des crises fantasmées et instrumentalisées, notamment en vue de la justification de l’avènement des partis uniques, de leurs leaders-guides éclairés et des systèmes politiques autoritaires qui en découleront. Pour justifier le remplacement des régimes multipartistes par des régimes à parti unique et le recours à l'autoritarisme de ceux-là, il a été vendu l’argument de la nécessité de promouvoir et construire plus efficacement le développement socioéconomique et l'unité nationale.

Cette schématisation historique de l’appropriation par l’Afrique de ce concept d’homme providentiel, nous amène à faire la part entre deux notions : celle de l’homme providentiel médiateur, incarnée par les leaders indépendantistes et des mouvements de libération ; celle de l’homme providentiel autoritaire, incarnée par les leaders en responsabilité à la tête des jeunes Etats indépendants.  

Rebelle et, de ce fait, porteur d’une noble ambition populaire visionnaire et souveraine, considérant le pouvoir comme un levier de réalisation de ladite ambition, l’homme providentiel médiateur est un passeur d’espérance et un bâtisseur de société future ouverte. En posture d’intercesseur, l’homme providentiel médiateur est le pont entre son peuple et la société dont il rêve et dans laquelle ses aspirations et besoins peuvent ou pourront être réalisés. En ce sens, l’homme providentiel est celui qui s’efforce d’être, le mieux qu’il peut, au service de l’intérêt général, sans se considérer comme indispensable. Le meilleur et illustre exemple de ce type d’homme providentiel est Nelson Mandela, héros Sud-africain de la lutte contre l’apartheid.       

A l’inverse, l’homme providentiel autoritaire, sans ambition et vision précises pour son peuple et pour son pays, considère le pouvoir comme un objet de consommation et de jouissance personnelles. L'exercice du pouvoir par cet homme providentiel autoritaire est davantage marqué par l'arbitraire, le non-respect du droit, la violation des droits des humains et une gestion patrimoniale de l’Etat, sans considération de satisfaire les besoins et les aspirations des populations. Les exemples de cet homme providentiel autoritaire sont légion, en Afrique ; l’Empereur Jean Bedel Bokassa en était une des illustres caricatures.    

Entre l’homme providentiel médiateur et l’homme providentiel autoritaire, il existerait, à notre avis, une autre posture : celle de l’homme providentiel pragmatique.

Tout aussi rebelle que l’homme providentiel médiateur, parce que mû par une ambition sous-tendue par des valeurs patriotiques, l’homme providentiel pragmatique exerce un pouvoir autoritaire comme moyen et levier pour impulser le développement de son pays et satisfaire les besoins et aspirations populaires. Révélé par le drame du génocide des Tutsi et inspiré par le leader singapourien Lee Kuan Yew, exemple d’homme providentiel pragmatique asiatique, Paul Kagame est un exemple africain d’homme providentiel pragmatique.

Par Stephane Vouillé

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  • Par BOUTET Orphé
  • 15-04-2024
Brice Clotaire Oligui Nguéma :...

Dans le présent contexte sociopolitique national, se poser la question de savoir si la figure principale de l’avènement du 30 août 2023, du « coup de liberté » est un homme providentiel relèverait majoritairement du crime de lèse-majesté.

Le « coup de liberté » ou « coup de libération » ayant eu pour conséquence immédiate la disparition d’Ali Bongo Ondimba, de la scène politique, et du symbole honni qu’il incarnait en tant que perpétuation d’un pouvoir familial malveillant et néfaste au sommet de l’Etat, les Gabonais en savent largement gré au Général Brice Clotaire Oligui Nguéma. En conséquence, il est depuis considéré comme un « homme providentiel ». Un article en ligne[1] se fait l’écho de cette ovation populaire. Laudateur, l’auteur dudit article écrit : « Force est de constater qu’Oligui Nguema, est l’homme providentiel que le Gabon attendait […] Depuis sa prestation de serment en tant que Chef de l’Etat le 4 septembre dernier, il a fait entrer le Gabon dans une nouvelle dimension. Il s’affiche désormais comme un dirigeant visionnaire, capable de tirer profit d’événements dramatiques pour construire un avenir meilleur au peuple gabonais. Farouchement soucieux d’indépendance, Oligui Nguema incarne un esprit de rébellion et de patriotisme qui plaît beaucoup aux Gabonais. Dans l’imaginaire collectif, il fait partie de ces grandes figures qui ont marqué non seulement l’histoire du pays, mais aussi celle de l’Afrique. Son principal mérite ? Avoir su rassembler la nation au moment où elle traversait des années noires… » Manifestant certainement quelques symptômes de l’hubris, Oligui Nguéma semble assumer et revendiquer lui-même cette figure d’homme providentiel. En effet, le 26 décembre 2023 à Oyem, il aurait dit : « Aujourd’hui, le leader c’est moi. Je suis votre illustre guerrier Akoma Mba et les champions nationaux, ce sont les membres du CTRI. »[2] Akoma Mba, dans le patrimoine culturel Fang et l’histoire mythique de sa généalogie, est un guerrier redoutable dont les exploits sont relatés par le Mvett.

Cet élan populaire thuriféraire qui conduit le Président de la Transition à assumer et revendiquer cette figure d’homme providentiel n’est pas partagé par tout le monde. Minoritaires certes, des voix s’en inquiètent, à l’instar de celle du Député Jean Valentin Leyama. Pour ce dernier : « La Transition aura échoué si elle conclut à consacrer le règne d’un homme fort, prétendument providentiel, plutôt que des institutions définitivement fortes qui transcendent les individus. »[3]

Par Stephane Vouillé

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