Oligui Nguéma : continuateur d’une culture d’homme providentiel autoritaire ?
Au Gabon, d’Omar Bongo Ondimba à Ali Bongo Ondimba, il s’est, en réalité et davantage, agi d’homme providentiel autoritaire, louangé par l’organe partisan qu’est le PDG et le système dit « Bongo-PDG ». En saluant le « coup de liberté » du 30 août dernier, les Gabonaises et les Gabonais, dans leur immense majorité, ont sans aucun douté salué leur libération du joug des hommes providentiels autoritaires successifs de la « dynastie » familiale des Bongo Ondimba. Artisan du coup de liberté et tombeur d’Ali Bongo Ondimba, le Général Brice Clotaire Oligui Nguéma est, à juste titre, l’homme providentiel espéré et attendu par les Gabonaises et les Gabonais. Toutefois, de quel type d’homme providentiel Oligui Nguéma est ou doit-il être le nom ?
Presque huit (8) mois après la prise de pouvoir par le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), son Chef semble osciller et hésiter entre l’incarnation de l’homme providentiel médiateur et celle de l’homme providentiel autoritaire.
Après les règnes successifs des hommes providentiels autoritaires père et fils Bongo Ondimba, le peuple gabonais aspire à être gouverné par un autre type d’homme providentiel. En plaçant sa prise de pouvoir sous la coupole du CTRI, nous préjugeons que le Général Oligui Nguéma l’a compris. En effet, la dénomination même du CTRI (comité pour la transition et la restauration des institutions) devrait l’attester et donner une indication du type d’homme providentiel que le peuple gabonais attend et que le leader de la Transition politique, en cours dans notre pays, est censé incarner.
Dans la dénomination « Comité pour la transition et la restauration des institutions », le terme « transition » laisse entendre le passage d’une ère à une autre, d’une époque à une autre. Dans l’expression « restauration des institutions », le terme « restauration » n’est pas approprié si nous considérons que, du fait du règne des hommes providentiels autoritaires père et fils Bongo Ondimba, il n’y a jamais eu au Gabon, en réalité, d’institutions capables d’en imposer aux individus quels qu’ils soient. Nous aurions dû alors parler de « fondation ou création des institutions ». Toutefois, en elle-même, l’expression « restauration des institutions » indique bien une aspiration à passer et à entrer dans une ère politique dans laquelle les institutions devront dorénavant prévaloir sur les individus. De tout ce qui précède, nous en concluons que le type d’homme providentiel attendu par les Gabonaises et les Gabonais et que le Président de la Transition devrait incarner est l’homme providentiel médiateur. En incarnant ce type d’homme providentiel, le Général Oligui Nguéma se mettrait en posture de passeur vers un système politique fondé sur la force et l’autorité des institutions plutôt que sur la force et l’autorité d’un homme.
Malheureusement, à l’épreuve des faits, nous avons des raisons de suspecter que la dénomination du CTRI, comité pour la transition et la restauration des institutions, est une profession de foi politique que son leader n’entend pas réaliser et incarner.
Pour pouvoir réaliser la profession de foi politique suggérée par la dénomination même du CTRI et incarner la figure de l’homme providentiel médiateur attendu par le peuple gabonais, le Général Oligui Nguéma devrait donner des gages d’une rupture avec la culture de l’homme providentiel autoritaire dans laquelle il a baigné, en tant qu’un des hommes et piliers du régime et du système Bongo-PDG.
Nous avons le sentiment, au contraire, que le Président de la Transition entend plutôt être le continuateur de la culture de l’homme providentiel autoritaire des père et fils Bongo Ondimba. Ce qui l’atteste est la préparation sans consultation participative et inclusive du Dialogue national inclusif, en cours. Les termes de référence et le choix des participants audit dialogue ont été décidé unilatéralement par le leader du CTRI. Par ailleurs, le fait qu’il ait exclu de l’ordre du jour dudit dialogue national inclusif, la création d’une « commission vérité, justice, réparation et réconciliation » finit par nous convaincre que le Général Brice Clotaire Oligui Nguéma n’est pas l’homme providentiel médiateur que le Gabon attend.
Portées d’abord par la Coalition pour la nouvelle république (CNR) et soutenues ensuite par les tenants de l’ancien régime, la création et la mise en place d’une « commission vérité, justice, réparation et réconciliation », dans le contexte de la Transition politique en cours, donneraient plus de sens et de légitimité au Dialogue national inclusif. Seule une telle « commission vérité, justice, réparation et réconciliation » permettrait de distinguer ce dialogue national inclusif des précédents dialogues et amorcerait les conditions de réalisation de notre véritable essor commun vers la félicité et vers le renouveau du Gabon. Au-delà de l’objectif de la réconciliation nationale, au nom des héros et des martyrs de la liberté et de la démocratie dans notre pays, la mise en place d’une telle commission est un devoir de mémoire. Cette exigence de mémoire pour nos héros et martyrs devrait naturellement être une priorité pour le sauveur et libérateur acclamé le 30 août dernier. Or, ce dernier en n’en faisant pas sa priorité fait douter de ce statut à lui conféré et ensuite assumé et revendiqué. Pour toutes ces raisons, le dialogue, que ce prétendu sauveur et libérateur promeut et qui est en cours, a toutes les allures d’une énième et nouvelle basse manœuvre politicienne dont le principal dessein est la consolidation de la captation du pouvoir d’Etat par le CTRI et son leader. Cet état de fait est une occasion historique que le Général Oligui Nguéma est en train de manquer pour incarner la figure du rebelle et du dissident en opposition de l’ancien monde et, par conséquent, de l’homme providentiel médiateur attendu par les Gabonaises et les Gabonais.
Tout homme providentiel étant enfant de crise, est donc fils de son temps et de son contexte socio-politique. Le fait que le Général Oligui Nguéma soit quasiment plébiscité en tant que sauveur et encouragé majoritairement (y compris activement ou passivement par les critiques de l’ancien régime) à devenir un nouvel homme providentiel autoritaire, émule et incarnation d’Akoma Mba est sans doute en phase avec le contexte. Toutefois, cela interroge, tout de même, sur les véritables attentes du peuple gabonais. Le désir de changement exprimé par ce dernier lors des élections présidentielles, notamment de 2016 et de 2023, serait-il un simple désir de remplacer un homme providentiel autoritaire par un autre ou serait-il plutôt et fondamentalement un profond désir de rupture et donc d’alternance et d’alternative à la culture de l’homme providentiel autoritaire ?
S’il existe bien des indices et des faits attestant que l’actuel Président de la République serait davantage enclin à être le continuateur d’une culture de l’homme providentiel autoritaire, il n’en demeure pas moins qu’il serait trop tôt de l’affirmer catégoriquement et définitivement. En politique, tout comme dans le cadre de la vie humaine ordinaire, l’existence précède l’essence : tout est dynamique. L’homme providentiel autoritaire d’aujourd’hui pourrait devenir demain un homme providentiel médiateur ou inversement.
Cependant, une chose est certaine : le Général Brice Clotaire Oligui Nguéma est bel et bien, à ce jour, plutôt un homme providentiel opportuniste. L’histoire lui a donné l’opportunité de s’emparer du pouvoir : il l’a saisi ; la même histoire lui offre l’opportunité d’assouvir son désir de prolonger sa jouissance de l’exercice du pouvoir : il entend ne pas se faire prier. Toutefois, il serait bien inspiré de saisir également l’opportunité que cette même histoire lui offre pour incarner, en rupture avec l’ordre ancien, l’homme providentiel médiateur espéré et attendu, inconsciemment sans doute, par la majorité des Gabonaises et des Gabonais. Ce n’est pas en étant le continuateur de la culture de l’homme providentiel autoritaire qu’il sera effectivement l’exécuteur testamentaire revendiqué d’Omar Bongo Ondimba. L’euphorie populaire du 30 août dernier, qui constitue encore un état de grâce pour le nouveau Président de la République, est une écume qui, en réalité, accompagne une puissante vague faisant échouer sur le rivage de notre histoire l’épave putride de la culture de l’homme providentiel autoritaire. L’histoire, la grande histoire, tend les bras au Général Brice Clotaire Oligui Nguéma pour qu’il y entre en étant l’homme providentiel médiateur et héraut du Gabon véritablement libéré, réconcilié, démocratique, vivant en paix et dans la prospérité partagée.
Par Stéphane Vouillé
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