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Brice Clotaire Oligui Nguéma : exécuteur testamentaire d’Omar Bongo Ondimba ? ( Première Partie)
- Par BOUTET Orphé,
- Mise à jour le 06-11-2023
« Coup de liberté » ou « révolution de palais » ?
L’alacrité populaire qui a suivi l’annonce, le 30 août dernier, de la prise de pouvoir par l’armée au Gabon a témoigné du caractère de plus en plus exécrable, aux yeux d’une très large majorité des Gabonais, de ce qu’était devenu le règne d’imposture et d’incurie d’Ali Bongo Ondimba. En qualifiant son action de « coup de liberté », le Général Brice Clotaire Oligui Nguéma indiquait ainsi sa perception empathique du sentiment et de la conscience populaires. Le coup de force des militaires a été unanimement accueilli comme salvateur, par un peuple qui, depuis 2009, voyait quotidiennement ses conditions de vie se dégrader et ses libertés rognées et retirées. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’idée d’une « révolution de palais » avancée par le candidat Albert Ondo Ossa n’a pas eu d’écho. Ce dernier a fini par « rentrer dans le rang », pour éviter l’isolement. Toutefois, en qualifiant ce coup d’état de « révolution de palais », Albert Ondo Ossa a vu juste. En effet, ancien aide-de-camp d’Omar Bongo Ondimba et patron de la garde prétorienne de son fils, le Général Oligui Nguéma est évidemment un homme du régime Bongo-PDG. Sa prise de pouvoir est, de ce fait, bel et bien une « révolution de palais ». De plus, cette idée d’une « révolution de palais » est, aujourd’hui, accréditée et renforcée par les faits : les militants du PDG (y compris les anciens reconvertis en opposants) et partisans de l’ancien régime sont majoritaires dans toutes les instances de la Transition. C’est le cas du cabinet du Président de la République. Notoirement, l’Assemblée nationale et le Senat sont majoritairement constitués de PDGistes[1]. Si ce n’est pas le cas, pour le moment, pour ce qui concerne le bureau du Conseil économique et social, il n’en demeure pas moins que son président, son 1er vice-président et son 2ème questeur sont des militants du PDG. Actuel président du CES, Séraphin Moundounga n’a jamais, à notre connaissance, démissionné du PDG. Le « coup de liberté » est donc, en réalité, une « révolution de palais ». De la présidence de la République au parlement en passant par le Gouvernement et le CES, les personnalités investies de pouvoir, par le nouveau régime, sont majoritairement des habitués et des intimes du « palais », à l’instar de Brice Clotaire Oligui Nguéma lui-même, qui a été, comme le qualifie, à juste titre, Mathieu Olivier, journaliste à Jeune Afrique, « confident »[2] d’Omar Bongo Ondimba. Ledit confident serait d’ailleurs apparenté au défunt président, du côté de sa mère qui serait une des cousines d’Omar Bongo Ondimba.
Cependant, ce serait manquer d’à-propos, en termes d’analyse politique, de ne pas comprendre que cette « révolution de palais » était la seule issue pour arriver à bout d’un système politique qui avait confisqué toute possibilité de « renversement électoral »[3] et dont le régime d’Ali Bongo Ondimba était la forme la plus sanguinaire et prédatrice. Sans ce coup de force, le vote des Gabonais aurait été à nouveau tronqué et volé par le régime d’Ali Bongo Ondimba, comme en 2009 et en 2016. La « révolution de palais » menée par Oligui Nguéma nous a bien libérés de ce régime de désolation et de terreur et c’était bien la seule issue. De toutes les façons, face à la confiscation totale du vote citoyen et de l’alternance politique pacifique, le régime Bongo-PDG ne serait tomber que par un coup d’état, celui d’Oligui Nguéma ou un autre. Nous pouvons, néanmoins, nous féliciter que ce soit celui, sans une goutte de sang, d’Oligui Nguéma.
Accorder le bénéfice du doute au CTRI
Toute « révolution de palais » n’étant pas en soi et systématiquement une perpétuation de l’ordre ancien, il importe, en conséquence, d’accorder, au Général Oligui Nguéma et à ses frères d’armes, le bénéfice du doute. S’il a bien nommé le coup d’état du 30 août courant, le candidat Ondo Ossa a, en revanche, fait un procès d’intention à son auteur en affirmant qu’il s’agissait d’une continuité de l’ordre ancien. S’il est trop tôt d’accuser le Général Oligui Nguéma d’être un simple recycleur du régime honni Bongo-PDG, il est, néanmoins, tout aussi légitime de s’interroger sur ses véritables intentions. Quelles sont ces dernières ?
En l’absence d’actes contraires et avant le terme de la Transition, il est difficile de sonder les intentions du Général-Président. « Mourim batsi diyombi » (littéralement « le cœur de l’autre est une forêt impénétrable »), l’homme est un mystère pour l’homme, dit un proverbe Gisir. A défaut d’arriver à bout du mystère de l’intimité profonde d’Oligui Nguéma et de dévoiler ses véritables intentions, contentons-nous d’approcher cette intimité et de préjuger de ses intentions en scrutant ses premiers actes.
Si nous nous en tenons aux premiers symboles, l’intention du nouveau Chef d’Etat est justement d’opérer une rupture avec l’ordre ancien et d’amorcer la fondation d’une nouvelle ère. Le premier de ces symboles est la dénomination de l’organe constitué par les militaires et présidé par Oligui Nguema : le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI). Au Niger, l’homologue militaire du CTRI est nommé « Conseil national pour la sauvegarde de la patrie » ; en Guinée, « Comité national pour le développement » ; au Mali, « Comité national pour le salut du peuple ». De cette lecture sémiotique comparée, nous pouvons en déduire que les militaires Gabonais et le premier d’entre eux, comparativement à leurs homologues, affichent d’emblée leur intention de ne pas s’éterniser au pouvoir en constituant simplement un régime transitoire chargé de restaurer les institutions. Le deuxième symbole est la référence tutélaire et exorciste, dans les communiqués du CTRI, à l’esprit de concorde de l’hymne national. Le CTRI entend mettre à profit la transition pour poser les fondations d’une véritable concorde nationale et c’est le sens de la chute qui fait désormais la marque de ses communiqués : « Peuple Gabonais, c'est enfin notre essor vers la félicité ! » Par cette formule incantatoire devenue, le CTRI semble exorciser à jamais l’ordre ancien, et peut-être aussi les démons de l’attrait puissant du pouvoir qui sommeille en chaque humain et donc en chacun d’eux.
La grosse faute politique d’Ali Bongo Ondimba
L’autre symbole significatif d’une intention de refondation de notre Nation et du vivre-ensemble, du Général-Président de la Transition, est non seulement la référence au Président Jerry John Rawlings, mais également et surtout le rappel, dans son discours d’investiture, de ces paroles désormais proverbiales de feu le Président Omar Bongo Ondimba : « Dieu ne nous a pas donné le droit de faire du Gabon ce que nous sommes en train de faire, il nous observe. Il dit : amusez-vous. Le jour où il voudra aussi nous sanctionner, il le fera. » Témoignage d’une autocritique, ces paroles révèlent la résonnance testamentaire des discours du 01 décembre 2007 et du 31 décembre 2008 d’Omar Bongo Ondimba. « A di cisse mvoumbi mougandou », dit un adage de la sagesse Gisir. Littéralement, « ce qu’a laissé un défunt est une malédiction ». Dans la culture Gisir, citer cet adage, c’est appeler les héritiers d’un individu au respect des dernières volontés de ce dernier. Le non-respect des dernières volontés d’un défunt expose ses héritiers au malheur : maudit l’héritier qui n’aura pas été un fidèle exécuteur testamentaire ! La grande faute politique d’Ali Bongo Ondimba est de n’avoir pas compris la portée spirituelle et testamentaire des paroles paternels et de n’en avoir pas fait le viatique et la boussole de son règne. Il aurait dû s’employer à réhabiliter le nom de son père tout en se faisant un prénom.
En déposant Ali Bongo Ondimba, le Général Oligui Nguema a, en réalité, déposé l’infidèle exécuteur testamentaire d’Omar Bongo Ondimba. C’est parce qu’il n’a pas cette clé de lecture que Mathieu Olivier, journaliste à Jeune Afrique, parle à tort de « la position paradoxale » d’Oligui Nguéma qui a renversé le fils tout en ayant été formé et porté par le père, c’est-à-dire Omar Bongo Ondimba[4]. La position d’Oligui Nguéma est, au contraire, normale et cohérente parce qu’en phase avec l’esprit du testament du patriarche. Tout en appelant à la perpétuation de son règne par son héritier, le patriarche Omar Bongo Ondimba a demandé que ledit règne prenne une nouvelle et ennoblissante trajectoire. Confident d’Omar Bongo Ondimba mourant, Brice Clotaire Oligui Nguéma s’est retrouvé de fait gardien du respect de sa mémoire et de son testament. En conséquence, fils moral et spirituel d’Omar Bongo Ondimba, Oligui Nguéma entend corriger l’erreur de son « frère ». En bon « enfant du village », conscient de la menace qui pèse sur tout héritier qui ne saurait pas faire respecter les dernières volontés d’un défunt, Oligui Nguema a, nous semble-t-il dans son discours d’investiture, annoncé être simplement le parfait exécuteur testamentaire politique d’Omar Bongo Ondimba. En considérant qu’Ali Bongo Ondimba n’a pas su être le digne héritier politique de son père repentant, la « révolution de palais » orchestrée par Oligui Nguema est donc une rectification de la trajectoire du régime PDG et plus probablement une réhabilitation post-mortem du nom d’Omar Bongo Ondimba. Dans ses discours du 01 décembre 2007 et du 31 décembre 2008, Omar Bongo Ondimba, tout en battant sa coulpe, appelait son régime à une véritable reconversion et engageait ainsi son successeur à en ouvrir le chantier jusqu’à sa réalisation. En témoignant son repentir, Omar Bongo Ondimba exprimait en même temps sa lassitude. N’ayant plus l’énergie nécessaire pour remettre le Gabon sur les rails de la bonne gouvernance et du développement socioéconomique véritable, il espérait que son héritier, son fils Ali, le ferait. Ce qui a manqué à ce dernier pour être véritablement fidèle à la consigne testamentaire paternelle est un sursaut d’orgueil pour laver la honte historique attachée au patronyme Bongo. Un fils devrait toujours faire mieux que son père et sauver l’honneur de ce dernier. Ali Bongo Ondimba a fait tout le contraire. C’est le péché que Oligui Nguéma lui a fait expier.
Stephane Vouillé
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