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Du contenu et de la durée de la Transition au Gabon : la parole au peuple souverain ! ( 2eme et dernière partie)
- Par BOUTET Orphé,
- Mise à jour le 22-11-2023
Vers une consultation non inclusive ?
L’une des preuves que la consultation préparatoire en cours au dialogue national est loin d’être inclusive, dans sa mise en œuvre, est le communiqué, paru dans L’Union du 18 au 19 novembre 2023 (en page 4), d’un collectif de cadres du Moyen-Ogooué, présidé par monsieur Richard Auguste ONOUVIET, appelant à un séminaire d’harmonisation. L’appel à une démarche concertée de ressortissants du Moyen-Ogooué est sans doute à saluer. Cependant, pourquoi se constituer en un collectif de cadres uniquement ? Qu’est-ce qui légitime lesdits cadres à parler au nom de cette province, et par conséquent, au nom des populations migovéennes ? La démarche de ces cadres est une réponse au format défini par le Gouvernement. Dans son format et dans ses thèmes, la mise en œuvre, par le Gouvernement, du principe louable de consultation des populations en vue du dialogue national incline, en effet, à penser que la cible visée ce sont prioritairement les cadres et lettrés. Or le Gabon est constitué de diverses et nombreuses couches sociales. Toutes ces couches sociales doivent être mobilisées et impliquées dans le processus de consultation pré-dialogue national. Ainsi, la consultation, en cours via le portail officiel « MBOVA », se serait fait parallèlement et en complément des consultations à la base, notamment en vue de l’inclusion des compatriotes de la diaspora ou éloignés du territoire national pour diverses raisons. De la synthèse de toutes ces consultations, le Gouvernement aurait extrait alors les thèmes de discussion à porter à l’ordre du jour des assises du dialogue national. Ces consultations citoyennes inclusives préparatoires auraient été, en outre, l’occasion pour les Gabonaises et les Gabonais de désigner eux-mêmes leurs représentants au dialogue national. Un tel processus de consultation citoyenne inclusive aurait exigé, évidemment, plus de temps, six mois au minimum.
« Transition politique » de l’élite bien-pensante contre « Transition socioéconomique » du peuple
Les réactions populaires à l’officialisation du chronogramme officiel de la Transition montrent que les citoyennes et les citoyennes n’en ont pas la même acception que les gouvernants et autres représentants autoproclamés de la société civile.
Par « transition », on entend couramment le « passage d'un état à un autre, en général lent et graduel », c’est-à-dire un « état intermédiaire » entre deux situations, deux moments, un ancien et un nouveau. La transition serait ainsi l’état intermédiaire qui marque la rupture avec un ordre ancien pour amorcer le passage vers un ordre nouveau. En recourant à l’image de la maladie et du malade, la transition désignerait alors la période de convalescence, état intermédiaire entre l’état de maladie et l’état de santé recouvrée. Selon le type de maladie, toute convalescence est plus ou moins longue.
Si l’élite et le peuple s’accordent bien sur l’idée de la transition comme rupture avec une époque ancienne (le régime Bongo-PDG dont l’archétype aura été la séquence Ali) pour un passage vers une époque nouvelle (l’« essor vers la félicité » horizon d’espérance du vivre-ensemble magnifié par notre hymne national), ils n’en demeurent pas moins opposés sur le contenu à donner à cette transition.
Pour l’élite, la transition doit être « politique ». Le chronogramme publié par le Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI) parle bien, en effet, de « Transition politique au Gabon ». Entendue ainsi, la transition serait principalement la préparation du passage à un nouvel ordre constitutionnel et à des nouvelles élections générales. Sous la pression externe des bailleurs de fonds et de la communauté internationale, mais aussi interne de l’élite politique et des représentants de la société civile, le CTRI semble se résoudre à résumer, dans l’ensemble, la feuille de route de la transition à l’élaboration et à l’adoption d’une nouvelle constitution, d’une part ; et à la convocation de nouvelles élections pour un « retour à un ordre constitutionnel » dit normal et le retour des militaires dans leurs casernes. Tout cela n’est pas très original et s’inscrit dans le registre de la bien-pensance mondiale de la « transitologie » pour laquelle la transition politique est simplement un « moment intermédiaire entre l’ancien régime déclaré caduque et un nouveau régime à élaborer. Dans cette période, normalement circonscrite dans le temps, sont élaborés les traits du nouveau régime constitutionnel et politique (nouvelle constitution et l’élection de nouveaux dirigeants dans des élections pluralistes). »[1] Sans tenir compte du contexte spécifique de notre pays, l’élite politique et l’élite militaire font chorus pour se convaincre de la doxa mondiale et se persuader qu’il n’y a de transition que politique et constitutionnelle et que sa durée doit nécessairement être limitée dans le temps. Ce qui revient à dire que pour ces élites, la maladie qui a fait du Gabon, avant et pendant le règne d’Ali Bongo Ondimba, un « malade alité » et comateux, c’est le dysfonctionnement institutionnel et constitutionnel.
A l’inverse de cette élite politico-militaire, le peuple considère que la cause de la maladie du Gabon est tout simplement la non-satisfaction de ses attentes et de ses besoins socio-économiques. En conséquence, ce qui ressort explicitement ou implicitement des réactions citoyennes depuis la publication officielle du chronogramme de la transition, c’est le plébiscite d’une transition plutôt socio-économique. Au-delà de l’écume des appels opportunistes à une candidature d’Oligui Nguéma et d’un allongement de la durée de la transition, les Gabonaises et les Gabonais veulent, en réalité, des réponses diligentes et concrètes susceptibles d’améliorer leur condition socio-économique. Il y a donc en opposition deux types de transitions : l’une politique, pour satisfaire la bien-pensante communauté internationale et les agendas nationaux des femmes et hommes politiques ; et l’autre socio-économique pour satisfaire le peuple gabonais et lui donner des raisons d’espérer un véritable essor vers la félicité. Chacune de ces transitions a un contenu et une temporalité propres. Si la transition politique peut et doit être plus courte dans le temps ; la transition socio-économique ne peut être que plus longue. Elaborer, adopter une nouvelle constitution et aller vers des nouvelles élections générales est, en effet, un projet réalisable en deux ans. En revanche, poser les jalons d’un nouvel ordre socio-économique en donnant satisfaction aux urgences sociales (l’éducation, la santé, l’eau, la route, l’emploi, etc.) des Gabonaises et des Gabonais nécessiterait d’aller au-delà de deux années.
Du dilemme du CTRI : en appeler au Peuple pour en sortir
Au regard des six (6) objectifs du CTRI et des cinq (5) préalables pour leur réalisation, il apparaît que les militaires hésitent entre une transition politique et une transition socio-économique. « La réforme institutionnelle et législative » « le dialogue national et la consultation publique » sont des objectifs qui relèvent de la transition politique et d’un temps court ; à l’inverse, « la lutte contre la corruption » et « le développement durable et économique » ne peuvent être que des objectifs du temps long. Le CTRI est confronté à un dilemme ou à un écartèlement. Dilemme ou écartèlement traduit par le préalable n° 4 que voici : « Répondre aux principales demandes populaires pour garantir la paix sociale que n’offrirait aucune élection ». A la lecture de ce préalable, il appert que le CTRI est en phase avec le peuple et en contradiction avec l’élite politique et les représentants de la société civile. Pour le CTRI et pour le peuple, les élections ne sont pas la priorité de la transition ; pour l’élite politique et la société civile, il faut, au contraire, aller au plus vite vers des nouvelles élections générales.
Pour permettre au CTRI de résoudre son dilemme et l’opposition entre les tenants d’une transition politique et les partisans d’une transition socio-économique, il faut en appeler au peuple par voie référendaire. Le dialogue national ne peut pas être l’instance appropriée pour trancher cette question et encore moins la constituante qui découlera de la transformation du parlement. Futurs constituants, les actuels parlementaires ont été tous nommés par le Président de la Transition. Et il est vraisemblable que ce sont les mêmes qui participeront au dialogue national inclusif. En l’état actuel de la situation, contrairement au libellé du préalable 5 du CTRI (« Laisser le Peuple gabonais décider démocratiquement par le biais de ses représentants au Parlement et, surtout, au Dialogue National Inclusif »), le peuple n’est point du tout représenté par des individus de son choix, comme cela aurait pu être le cas dans le cadre de consultations préparatoires à la base. En conséquence, l’une des résolutions dudit dialogue national inclusif serait la convocation d’un référendum sur la question de la durée de la transition. Le peuple devra choisir entre une durée de deux ans, pour une transition politique, et une durée de quatre ans, pour une transition socio-économique. En prévision cette consultation, et d’une possible victoire en faveur d’une transition de quatre ans, le dialogue national inclusif ne devra pas limiter ses discussions aux « contours politiques et institutionnels de la République » : il devra également aborder les questions socio-économiques de façon à lister les priorités de cette transition pour le peuple que celui-ci appelle de ses vœux.
Pour sortir du mimétisme politique, une « transition socio-économique » de quatre ans
Il n’y a qu’une transition socio-économique susceptible de donner un commencement de corps au rêve d’un essor vers la félicité du Peuple Gabonais. En quatre ans, il est possible de poser les jalons d’un nouvel ordre socio-économique et d’une gouvernance véritablement au service de l’intérêt général. Sortons du mimétisme imposé par la communauté internationale pour acter de façon consensuelle une transition qui nous soit propre et serve les intérêts de notre peuple, avant tout. Longtemps « malade alité », le Gabon a besoin d’une période de convalescence suffisante pour amorcer le recouvrement d’une santé tant espérée, au regard de son potentiel minier et naturel, mais jamais atteinte du fait de l’incurie du système Bongo-PDG. Que les acteurs de la transition, membres de l’élite militaire et membres de l’élite politique et de la société civile, fassent tous preuve d’humilité en s’efforçant de mieux décoder le message populaire, traduit et relayé souvent maladroitement par les réseaux sociaux, mais aussi instrumentalisé par quelques-uns. Gabon d’abord !
Par Stéphane Vouillé
[1] Cf. Céline Thiriot, « Transitions politiques et changements constitutionnels en Afrique » en ligne : https://books.openedition.org/putc/3197?lang=fr.
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